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28/07/2020

Folklore : une mémoire vivante

La Danse des paysans  Pieter Brueghel l'Ancien vers 1568..jpgLe folklore est souvent dévalorisé en France. « Savoirs du peuple » suivant son étymologie, le folklore est pourtant un témoignage vivant, une mémoire au plein sens du terme. Celle du peuple, de tous les peuples. Le Centre Pompidou de Metz fête ses dix ans avec l’exposition « Folklore » ouverte jusqu’au 4 octobre. Cette initiative mettent en relief les relations des artistes avec ce monde  d’avant la révolution industrielle. Celui de toute l’humanité durant des millénaires.

Folklore : une exposition et un livre pour retrouver la mémoire.

Metz est le lieu d’un événement culturel aussi remarquable qu’inattendu. Le Centre Pompidou-Metz a conçu, en partenariat avec le MUCEM, une exposition simplement intitulée « Folklore ».  Les commissaires, membres des deux institutions, sont respectivement Jean-Marie Gallais et Marie-Charlotte Calafat. Le Centre Pompidou a la réputation d’avoir lié son destin à celui de l’art contemporain. Le MUCEM, héritier lointain du célébrissime Musée National des Arts et Traditions Populaires (MNATP), semble peu enclin à valoriser les centaines de milliers de pièces dont il a récupéré la garde. Nous sommes loin du projet espéré de grand Musée moderne des ATP, analogue à celui du Quai Branly pour les Arts premiers. Et pourtant… L’exposition « Folklore » est une double surprise. D’une part parce qu’elle manifeste de façon concrète l’intérêt des deux institutions, et des deux commissaires, pour le sujet. Ils y travaillent depuis 2016, et on devine que leur attention est bien antérieure. D’autre part parce ce que l’exposition révèle que l’investissement et l’appropriation du folklore par des artistes de premier plan n’a jamais cessé. 

Folklore La Decouverte.jpgLe livre, intitulé lui aussi « Folklore », est un bel objet richement illustré, publié aux éditions La Découverte. Disons-le d’emblée, il mérite d’être en bonne place (à portée de main) dans les bibliothèques des associations et des militants de l’éducation populaire. L’éducation populaire ne tombe pas du ciel intellectuel. Elle est un échange permanent fondé sur la connaissance des cultures populaires et le débat permanent. Le livre s’ouvre sur des contributions croisées de Jean-Marie Gallais « Portrait de l’artiste en folkloriste »  et Marie-Charlotte Calafat « Portrait du folkloriste en artiste ». Pour une réfutation des banals stéréotypes sur l’allergie réciproque entre les deux. Les uns et les autres sont situés dans ces deux textes. De Paul Gauguin à  Pierre Huyghes, en passant par Picasso, Nolde, jusqu’à Joseph Beuys, le véritable fondateur de la performance. De Paul Sébillot à Arnold Van Gennep, en passant par Pierre Saintyves, Gaston Paris, jusqu’à Georges-Henri Rivière, le fabuleux maître d’œuvre du MNATP. Les noms égrenés tout au long de l’ouvrage dépassent la centaine. La transmission constitutive de ces cultures populaires, le caractère collectif de leur créativité foisonnante et spécifique (on ne sait qui a créé quoi), voire leur dimension immatérielle (danses, musiques, contes et légendes…) à côté de la dimension matérielle (mobiliers, statuettes, peintures, décorations, vêtements…) suscite une fascination chez un grand nombre d’artistes qui s’en inspirent à des degrés divers. Et cette inspiration, on le sait trop peu, perdure…

Devant l’océan culturel folklorique qui a généré un grand nombre de collectes encyclopédiques, les deux commissaires ont fait le choix judicieux de se focaliser sur des personnes et des thèmes, avec force illustrations. Celles-ci sont souvent inédites et porteuses de sens. Il existe peut-être un nom pour désigner ceux qui se plongent dans les images comme les mélomanes se plongent dans leurs musiques... Paul Sérusier, La guirlande de roses, 1898.jpgL’histoire d’amour entre le peintre Paul Sérusier et la Bretagne est relatée. De même que la découverte par Vassily Kandinsky du métier d’ethnographe, et sa passion pour les « loubkis » (estampes populaires), partagées par les autres artistes du « Blaue Reiter » (Cavalier bleu), un des groupes allemands les plus avant-gardistes.  Egalement oublié fut le compagnonnage des surréalistes avec le folklore. Benjamin Péret et André Breton étant les plus investis. Ce dernier organise notamment avec le folkloriste André Varagnac une exposition, « Pérennité de l’art gaulois », en 1955 au Musée pédagogique.

Maiastra.jpgConstantin Brancusi s’inspire à la fois de l’art africain et de ses ancêtres roumains bâtisseurs et décorateurs d’églises en bois. Son œuvre « Maïastra », décline en plusieurs sculptures le thème du légendaire oiseau de feu roumain. Elle peut être considérée comme le symbole même de la fusion artiste/folkloriste. Le spectacle le plus emblématique, car beaucoup de spectacles ont la même inspiration, étant le « Sacre du printemps » d’Igor Stravinsky, chorégraphié originellement par Vaslav Nijinski, avec des costumes et des décors de Nicholas Roerich, pour les Ballets russes de Serge de Diaghilev.

Parmi les thèmes traités figurent la quête des origines, par archaïsme politique (notamment l’instrumentalisation sous Pétain) ou par simple nostalgie (nombre d’artistes étant exilés) ; le lien avec les identités nationales (progressiste avec le Front populaire qui fut le premier à valider politiquement –et pédagogiquement- le folklore) ; le patrimoine culturel immatériel (avec la Convention de l’UNESCO de 2003) ; le jeu de l’authentique et du factice (de nombreuses collectes ont figé, parfois modifié, voire inventé, les œuvres) ; l’impact du tourisme de masse (qui fait des œuvres des produits destinés à la consommation) ;  l’art de la muséographie… et moult encarts  sur les répertoires, le textile…

« Folklore » ! Cette exposition et le beau livre qui l’accompagne sont en elles-mêmes des œuvres. Avec 220 pages et un prix modique, 35 €, nous avons là de quoi confronter avec nos propres expériences éventuelles, jeter un autre regard sur ce qui nous entoure, pour –effectivement- penser global et agir local, donner une nouvelle dimension à nos réflexions et à nos actions, interroger notre histoire pour construire notre avenir… et nous replonger dans l’expo et le livre. Saluons les commissaires et celles et ceux qui travaillent avec eux. Pouvons-nous leur en demander plus ? Oui, sur le rôle du Front populaire, sur certains artistes comme Benjamin Péret, auteur d’une Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, des scientifiques comme George-Henri Rivière, des militants comme Paul Delarue auteur du premier inventaire scientifique des contes populaires français, militant au sein de la Ligue de l’enseignement dans une commission folklore, puis des arts et traditions populaires, dans laquelle Pierre Jakez Hélias et Robert Lafont le rejoignirent… peut-être  sur les associations et fédérations impliquées… et sur l'imbrication avec l'histoire sociale, en commençant par les poètes ouvriers...




Une magnifique version du Sacre du Printemps au théâtre Mariinsky de Moscou en 2008. Mise en ligne par Fatova Mingus

 

13:53 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

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